14

Claudia rédigea un bref rapport faisant le point sur l’enquête et le déposa dans le bureau vide de Delford. Elle se prépara une tasse de café léger dans la cuisine. De retour à son bureau, la réceptionniste lui signala que quelqu’un l’attendait dans le hall d’entrée : Faith Hubble.

« J’ai comme l’impression qu’elle n’aime pas attendre », murmura la réceptionniste.

Le hall d’entrée ne mesurait guère plus de trois mètres sur trois, il y avait peu d’espace entre l’unique chaise, la table basse où de vieux magazines étaient empilés et le présentoir rempli de brochures concernant la sécurité des citoyens. Assise, Faith Hubble tira un fil du tissu déchiré de la chaise puis l’arracha d’un coup de poignet.

« Madame Hubble ? Je suis Claudia Salazar. »

Faith se leva et tendit le bras. La poignée de main fut rapide, Faith suivit Claudia jusqu’à son bureau.

Au cours de leur conversation téléphonique, Claudia s’était imaginé une femme fort différente : une politicienne carrée comme on en voyait à Austin[1], une petite blonde passée par des associations d’étudiantes, aujourd’hui détentrice d’une carte de club de gym, toujours vêtue de tailleurs impeccable et s’attendant à ce que ses collègues lui obéissent au doigt et à l’œil. Faith Hubble était une grande fille solide de près d’un mètre quatre-vingts, pourvue d’une belle poitrine et de fortes cuisses. Elle avait une peau crémeuse, d’épais cheveux châtains attachés en un simple chignon. Jolie, mais sa beauté n’était pas soignée. Elle portait un pantalon de tailleur italien noir avec une chemise blanche. De la qualité, mais on discernait une tache de confiture sur la manche. Claudia songea que Faith paraîtrait plus à son affaire sur un tabouret de bar qu’en meeting de campagne. « Asseyez-vous, madame Hubble.

— Merci de me recevoir si rapidement. Vous aussi vous avez sans doute beaucoup à faire, alors dites-moi simplement : où en est l’enquête ? »

Faith gardait ses magnifiques yeux noisette fermement fixés sur le visage de Claudia, à la manière d’un sergent instructeur mettant à l’épreuve une jeune recrue.

« Pour l’essentiel, nous attendons des résultats d’analyse. » Claudia n’aimait pas se montrer si prompte à répondre aux questions de cette femme, mais de toute façon Delford fournirait aux Hubble tous les détails. Dissimuler ne servirait pas à grand-chose.

« Quand devez-vous les avoir ?

— Demain. Ou après-demain.

— Notre famille voudrait évidemment obtenir des réponses le plus rapidement possible. »

Faith avait une voix grave, rauque, peut-être abîmée par les cigarettes ou par le whisky.

« Certains processus scientifiques ne peuvent pas être accélérés… Ni vous ni madame la sénatrice ne souhaiteriez obtenir des résultats erronés.

— J’ai à m’occuper du cœur d’une mère et d’un fils qui viennent d’être brisés. Plus vite cette affaire sera réglée, plus vite le travail de deuil pourra commencer. »

« Mais toi, tu ne souffres pas ? » se demanda Claudia. Faith Hubble avait plus l’air embarrassée que blessée par cette situation. « Et moi, qu’est-ce que je ressentirais s’il arrivait quelque chose à David ? » Une perte, un vide, c’est sûr. David n’avait pas été un mauvais mari. Il n’avait pas été le bon mari pour elle, c’est tout. Leur vie commune ne s’était pas soldée par un désastre. Si jamais il lui arrivait malheur, elle espérait ne pas se montrer insensible.

Faith tira sur sa manche. Elle remarqua la tache, grommela et gratta la confiture d’un ongle au vernis rouge vif.

« J’ai aussi à gérer des journalistes qui, depuis le début de cette campagne, n’avaient encore rien eu à se mettre sous la dent en matière de scandale ou de controverse. La mort de Pete, c’est du pain bénit pour eux. Ils sont pressés et ils ne manquent pas d’imagination. Je ne voudrais pas qu’ils écrivent n’importe quoi en se fondant sur des informations partielles communiquées par votre département.

— Nous n’avons communiqué à la presse que le fait essentiel : nous enquêtons sur la mort d’un homme dont le corps a été retrouvé dans un bateau à la marina.

— Le nom de Pete Hubble était sur toutes les radios ce matin, inspectrice. Ils savent que c’est lui, la victime, et qu’il est le fils de Lucinda.

— La presse a sûrement parlé avec les résidents de la marina. Eux connaissaient le bateau, devaient connaître le nom de l’occupant. Je crains qu’on ne puisse museler la population, non plus que l’amie de Pete, Velvet. »

Faith se gratta le front.

« Vous savez ce que c’est que d’être la cible de la presse à scandale ? Imaginez prendre une douche dans une salle de bains aux murs transparents. Je sais… que vous savez tous ici ce que Pete faisait pour vivre. Delford nous l’a dit. Je ne peux pas laisser Aaron Crawford utiliser ça contre Lucinda. Le suicide de Pete ne doit pas lui servir à dénigrer les qualités de mère de Lucinda. Ce serait complètement injuste. »

« Ton ex-mari. Le père de ton fils. Mais tu n’en as rien à foutre, si ? » Claudia brûlait de lui poser la question.

« Une telle tactique pourrait se retourner contre Crawford. Les électeurs pourraient considérer qu’il exploite honteusement la tragédie qui touche madame Hubble.

— Ne jamais surestimer les électeurs, dit Faith.

— Notre département ne livrera aucune information confidentielle à la presse. Seuls Delford et moi serons habilités à leur répondre.

— C’est avant tout à mon fils que je pense, plus qu’aux conséquences politiques pour Lucinda. Sam n’est pas au courant, vous comprenez ?

— Parfaitement.

— Et je souhaiterais être avisée de toutes les déclarations que votre département souhaite faire à la presse concernant cette enquête.

— Malheureusement cela ne sera pas possible », dit Claudia en se raidissant.

Faith promena ses doigts sur son menton.

« Je me suis mal fait comprendre, déclara-t-elle avec douceur. Je demande à être avisée, pas à avoir un droit de censure. Si vous comptez rendre publiques des informations préjudiciables, j’aimerais avoir le temps de préparer la réponse de la sénatrice. Cela me semble être une requête raisonnable. »

« Cette fille ne manque pas de cran », se dit Claudia.

« Nous tâcherons d’éviter les mauvaises surprises.

— Merci, inspectrice, dit Faith en se levant. Je vous en saurai gré.

— Avant que vous ne partiez, j’ai quelques questions à vous poser, si vous le permettez, poursuivit Claudia.

— Delford a pris nos dépositions. Je pense que vous les avez lues.

— J’aimerais mieux vous entendre directement, si vous le voulez bien. »

Claudia fit un geste vers la chaise. Faith se rassit et coinça son petit sac à main entre ses cuisses. Le sac aussi était noir et italien. « Nul doute, elle porte des vêtements de deuil, mais pour ce qui est des larmes…»

« Étiez-vous régulièrement en contact avec Pete ?

— Pas avant qu’il ne revienne à Port Léo. Avant son retour, je lui parlais une ou deux fois par an. Pour l’anniversaire de Sam, lorsqu’il s’en souvenait, et à Noël. J’imagine que Noël est une période où on tourne moins de films de ce genre.

— Ayant été si peu en contact avec lui, je suppose qu’il vous est impossible d’évaluer ses éventuelles tendances suicidaires…»

Faith avait parlé de suicide à deux reprises déjà, comme s’il ne pouvait s’agir d’autre chose. Elle fronça les sourcils.

« Je pense qu’une personne s’adonnant à la pornographie a nécessairement de graves problèmes d’amour-propre, pas vous ?

— Peut-être. Il ne vous envoyait pas de pension alimentaire pour Sam ?

— En quoi cela a-t-il de l’importance ? demanda Faith en pianotant avec ses ongles sur le bureau de Claudia.

— J’essaie de savoir si son fils a joué un rôle dans sa décision de revenir ici.

— Pete est revenu pour nous mettre dans l’embarras, sa mère et moi. Nous étions ses têtes de Turc. Quand Pete a annoncé son intention de me quitter et d’abandonner son fils – qui n’était alors qu’un bébé – pour partir tenter sa chance à Hollywood, je savais qu’il échouerait. Il avait de grandes ambitions, mais aucun véritable talent et aussi peu de volonté qu’un junkie. J’ai fini par apprendre qu’il tournait des films pornos ; j’ai alors voulu m’assurer qu’il ne pourrait jamais faire de mal à Sam. Ou à Lucinda. »

Faith passa une main sur ses yeux fatigués avant de poursuivre :

« C’est vrai, il envoyait de l’argent pour Sam de temps à autre, mais il l’adressait à Lucinda, qui ensuite me le donnait. Et moi j’en faisais don à des organisations caritatives. La famine en Éthiopie, les inondations au Bangladesh. Je trouvais toujours une bonne cause, de préférence à des milliers de kilomètres.

— Pourquoi ça ? Cet argent revenait à votre fils.

— Vous savez comment Pete le gagnait, dit Faith avec dédain. Je ne voulais pas que les saloperies de Pete servent à remplir l’estomac de mon fils.

— Quand avez-vous parlé à Pete pour la dernière fois ?

— Hier matin, répondit Faith en reculant sur sa chaise. Il a téléphoné chez nous, a demandé à parler à Sam.

— Quelle était son humeur ?

— Il semblait déprimé. Malheureux. Rien de surprenant, puisqu’il avait raté sa vie et qu’il s’était avili. Alors que Sam et moi avons réussi à construire quelque chose de solide et de bon. Je crois que Pete regrettait les choix qu’il avait faits. Un peu comme un petit garçon qui presse son visage contre la vitrine de la confiserie, mais qui a perdu à jamais le droit d’y entrer.

— À votre connaissance, avait-il cherché une aide thérapeutique quelconque ?

— Pete sur le divan d’un psy ? Vous rigolez. Pour lui, un divan ne pouvait servir qu’à une chose.

— Vous n’approuviez pas la façon dont il menait sa vie, ni sa manière de la gagner, mais vous ne vous êtes jamais opposée à ce qu’il puisse voir votre fils ? »

Les doigts de Faith vinrent soutenir son menton. Ses mains semblaient taillées dans l’ivoire.

« Cela ne me plaisait pas. Mais Sam est un Hubble, et comme les autres membres de sa famille personne ne peut lui dicter sa conduite. Il voulait voir son père quand celui-ci est revenu, j’ai donc autorisé quelques courtes visites, pour éviter qu’ils se rencontrent en cachette.

— Comment définiriez-vous leur relation ?

— Je n’oserais même pas parler de relation, dit Faith entre ses dents. Sam a passé son enfance à se demander pourquoi Pete ne voulait rien avoir à faire avec lui – comme si c’était l’enfant qui avait un problème, pas le père. Quand Sam a finalement pu le rencontrer, il s’est rendu compte que Pete était moins un père qu’un donneur de sperme.

— Vous avez dit que Pete était déprimé au téléphone. Pouvez-vous me donner des détails ?

— Il m’a demandé s’il pouvait parler à Sam, répondit Faith en arrangeant un pli sur son pantalon. Sam était déjà parti à l’école. Il m’a suppliée de dire à Sam que son père avait appelé. J’étais d’accord. On s’est dit au revoir et on a raccroché.

— Savez-vous si Sam a rappelé son père ?

— Je lui ai transmis le message, mais Sam n’avait pas l’air de se sentir concerné.

— Donc, après avoir tous appris la mort de Pete, Sam ne vous a pas dit s’il avait ou non parlé à son père ce jour-là ? »

Faith remuait de plus en plus sur sa chaise.

« Sam a dû lui parler, si. Je ne me souviens pas exactement. La soirée a été longue et éprouvante.

— Vous pensez que la campagne de Lucinda en souffrira beaucoup si les électeurs apprennent que Pete était une star du porno ?

— Je n’en sais rien, dit Faith, la gorge serrée.

— Mais quand Pete est revenu à Port Léo, vous avez sûrement dû y penser ? Calculer les risques ?

— Lucinda a fait un travail formidable depuis seize ans qu’elle occupe son siège de sénatrice. Elle a été réélue à chaque fois sans aucune difficulté, et les sondages lui sont très favorables. Il n’y a aucune raison de croire que les électeurs cesseraient de la soutenir.

— Vous êtes un communiqué de presse ambulant, madame Hubble. Mais aucun de vos collaborateurs n’a jamais pensé qu’il fallait faire de la publicité autour de Pete, non ?

— Gardez vos sarcasmes pour vous, inspectrice. »

Claudia soupçonnait que les dégâts causés par une telle révélation seraient catastrophiques pour Faith et Lucinda. Cataclysmiques. Allant jusqu’à signifier la fin de leur carrière.

« Savez-vous s’il possédait un pistolet ?

— Je n’en ai aucune idée.

— S’il avait des difficultés financières ?

— Non.

— S’il se droguait, ou revendait de la drogue, ou était lié à une quelconque activité illicite ? »

Faith fit une grimace, comme si une odeur nauséabonde venait de lui chatouiller les narines.

« Si j’avais eu la moindre raison de croire que Pete se droguait, je n’aurais jamais laissé Sam l’approcher.

— Tournait-il encore des films X ?

— Il m’a affirmé vouloir quitter ce milieu », dit Faith en s’essuyant la lèvre.

Sans doute était-ce politiquement plus avisé de présenter les choses ainsi, se dit Claudia. Pete s’était fourvoyé, mais sa maman la sénatrice avait réussi à le remettre dans le droit chemin… juste avant qu’il trouve la mort, hélas.

« Si la mort de Pete paraît suspecte – si en fait il ne s’agit pas d’un suicide – alors je vous suggère de vous pencher de près sur cette Velvet. Elle est complètement instable.

— Comment ça ?

— Comment pourrait-il en être autrement ? Elle a couché avec des centaines d’hommes. Imaginez ce que cela fait à l’âme et au cœur.

— Ah bon, je croyais qu’elle se contentait de réaliser les films.

— Y a-t-il une différence ? demanda Faith en rejetant l’idée d’un geste de la main. Vous êtes une femme et vous travaillez dans un milieu dominé par les hommes, n’est-ce pas, inspectrice ?

— Oui.

— Pareil pour moi. Quelqu’un comme Velvet nous trahit toutes. Nous nous démenons pour obtenir un statut d’égalité, pendant qu’elle enferme les femmes dans un rôle de jouet sexuel. Des poupées de chair qui n’existent que pour satisfaire les besoins des hommes. Elle faisait une fixation sur Pete, continua Faith en se penchant en avant sur sa chaise. Elle ne voulait pas qu’il revienne au Texas, mais elle l’a suivi. Pete essayait peut-être réellement de changer de vie, et elle s’efforçait de l’en empêcher. Pete s’est probablement suicidé, mais si vos analyses indiquent le contraire, je pense qu’il ne faut pas chercher le coupable très loin.

— C’est étonnant. Velvet pense que c’est vous qui êtes à l’origine de la mort de Pete. »

Faith se redressa sur sa chaise. Son sourire se crispa, puis se détendit à nouveau.

« Merci de me le dire, inspectrice, je ne manquerai pas de la poursuivre en justice pour diffamation.

— Justement, concernant les procédures judiciaires… Est-ce vrai que Pete souhaitait obtenir la garde de Sam ? »

Claudia avait attendu de voir si Faith évoquerait d’elle-même la chose. Celle-ci cligna des yeux, puis éclata de rire.

« Vous plaisantez ? Quel juge songerait une seule seconde à la lui accorder ?

— Alors il ne vous a jamais fait part d’un éventuel désir d’obtenir la garde de Sam ?

— Non. Jamais. Pas une seule fois. Qui vous a dit ça ?

— Velvet.

— Vous n’avez rien de plus fiable, comme source ?

— Connaissez-vous un dénommé Deloache ?

— Non.

— Est-ce que Pete vous parlait parfois de son frère Corey ? »

Faith parut encore plus surprise.

« Corey ? Mon Dieu, non. Voilà un sujet tabou.

— Pour Pete ? Ou pour la sénatrice ?

— Pour Pete. Trop douloureux. Ils étaient très proches.

— Il ne vous a pas dit qu’il projetait de faire un film sur Corey ?

— Non. Le juge Mosley m’en a parlé hier soir. Pete ne nous avait pas mises au courant. Cela aurait été terriblement douloureux pour la sénatrice. Vous imaginez, qu’on rouvre une plaie si vieille et si profonde… Bah, encore un exemple du parfait égoïsme de Pete.

— Pete possédait un ordinateur portable qui semble avoir disparu. Sauriez-vous où il pourrait se trouver ? À défaut, avez-vous une idée de l’endroit où Pete aurait pu conserver ses notes ou un exemplaire de son scénario ? »

La lèvre de Faith trembla l’espace d’un instant.

« Non. Non, murmura-t-elle. Tout ça n’est pas sur le bateau ?

— Lui avez-vous rendu visite sur le bateau ?

— Oui. Une fois, en accompagnant Sam. Je voulais m’assurer que Pete l’accueillerait dans un environnement convenable. Ce jour-là il n’y avait pas la putain, Velvet. C’était déjà ça.

— Nous allons devoir prendre vos empreintes, dit Claudia gentiment. Nous tâchons d’identifier toutes les personnes qui sont montées à bord du bateau, pour déterminer ensuite s’il reste des empreintes inconnues.

— Vous plaisantez ?

— Pas du tout. Je vous promets que ça ne fait pas mal. »

Claudia prit elle-même les empreintes de Faith, dans son bureau, rapidement et impeccablement. Faith ne dit pas un mot pendant la procédure. Elle s’essuya les mains avec une serviette que Claudia lui tendit.

« Madame la sénatrice et moi-même restons entièrement à votre disposition. J’espère juste que nous pourrons aussi compter sur votre coopération, que vous n’oublierez pas ce que madame Hubble a fait pour notre région, dit-elle en laissant choir la serviette sale sur le bureau de Claudia. Votre famille habite à Port Léo depuis de nombreuses années, si je ne me trompe ? demanda-t-elle d’une voix froide comme une lame de couteau.

— Oui.

— Votre père gagne sa vie en péchant la crevette ? »

Ce n’était pas vraiment une question.

« Exact.

— Une profession tout à fait honorable. »

Faith lui fit un demi-sourire, qui rappela à Claudia ces petits croissants de lune cruels qu’elle avait vus au lycée sur les lèvres des jolies filles qui se moquaient des grosses moches.

« Il n’a jamais eu d’ennui avec son permis de pêche ? continua Faith.

— Non, jamais. Aucun problème.

— C’est bien. Vous savez, on accorde de moins en moins de permis de nos jours. La sénatrice s’efforce de protéger nos côtes contre la surexploitation tout en préservant la vitalité de notre économie. Malgré tout, certains pêcheurs devront se trouver une autre activité car leurs permis seront rachetés par l’État. Ou ne seront tout simplement pas renouvelés…»

Faith saisit machinalement la serviette tachée d’encre et l’écrasa dans son poing. Claudia gardait le silence.

« Je vous remercie pour les informations que vous m’avez fournies, poursuivit Faith d’un ton désormais enrobé de miel. Puis-je vous appeler Claudia ? »

Claudia lui fit oui de la tête. Faith lui serra la main et se leva, dépliant son grand corps, glissant son sac à main trop petit sous son bras. Claudia la raccompagna jusqu’à l’entrée du commissariat. Faith salua chaque personne qu’elles croisèrent…

Claudia retourna dans son bureau. Elle avait mal au ventre. Elle alla s’enfermer dans les toilettes, se passa de l’eau glacée sur le visage. Dans le miroir, elle regarda les gouttes glisser sur sa peau. « Nom de Dieu, Claudia, tu te rends compte que cette grande salope vient juste de menacer ton père ? »

Était-ce un sujet de conversation banal ? Sûrement pas. Peut-être que Faith Hubble s’était elle-même sentie malmenée quand il avait fallu prendre ses empreintes.

Claudia pensa à son père, Cipriano, lui faisant de grands signes depuis le pont de son petit bateau de pêche, lui recommandant d’être une jeune fille sage alors qu’il s’éloignait dans la baie de St. Léo. Des filets vides, évoquant des drapeaux déchirés sur un champ de bataille, pendaient à l’arrière du bateau. Rien que de la corde et du nylon pour gagner difficilement sa vie.

La jeune femme s’éviterait aujourd’hui bien des ennuis si elle suivait le conseil de Delford et classait le « suicide » de Pete Hubble. Hubble n’était qu’un loser dépressif, la brebis galeuse d’une famille respectée. Il gagnait sa vie de façon honteuse, et Claudia ne serait pas surprise si les examens toxicologiques révélaient des traces de drogue dans son sang. Tout indiquait qu’il s’agissait effectivement d’un suicide. Il s’était arrangé pour que Heather Farrell trouve son corps, épargnant ainsi au moins ce choc-là à Velvet et à sa famille.

« Quel flic tu fais ! Tu trembles comme une feuille ! Tu vas laisser Faith Hubble et Delford Spires te dicter ta conduite ? » Elle bouillonnait. Elle aurait dû rentrer dans le lard de Faith Hubble. Elle décida d’appeler Whit Mosley au tribunal.

« Salut, Honorable, c’est Claudia.

— Qu’est-ce qui se passe ? Tu as une petite voix toute triste.

— Je suis un peu fatiguée, dit Claudia, soudain trop gênée pour raconter ses tourments à Whit. Je voulais faire un point avec toi. »

Elle lui raconta ses entretiens avec Velvet puis Faith et lui fit part de la disparition de l’ordinateur portable, s’en tenant aux faits.

« La théorie du suicide te paraît toujours tenir debout ? demanda-t-elle.

— Ton chef a insisté à ce sujet hier soir, avec un peu trop de véhémence à mon goût. »

Claudia hésita avant de répondre. Elle se rappela que Delford Spires l’avait toujours soutenue sans équivoque, qu’il s’était comporté comme un mentor vis-à-vis d’elle.

« Il… Je sais que tu ne raffoles pas de lui, mais c’est un homme intelligent. Il pensait bien faire. »

Whit lui fit part de la conversation qu’il avait eue avec Ernesto Gomez.

« J’aimerais savoir qui est ce « connard » avec qui Pete s’est disputé sur le bateau, dit-il. On devrait poser la question à Velvet.

— Je vais sortir le casier judiciaire de Pete, voir s’il a eu des démêlés avec la justice californienne. Et pareil pour Velvet. Il faudrait aussi rendre visite à Jabez Jones, dont tout le monde nous parle.

— Allons-y ensemble.

— Je m’occupe de prendre un rendez-vous.

— Parfait. Je te contacte dès que j’ai des nouvelles du médecin légiste. »

Claudia n’avait pas réussi à se débarrasser de son humeur morose. Elle avait beaucoup de coups de fil à passer, de recherches informatiques à faire. La réceptionniste lui avait laissé plusieurs messages griffonnés sur papier rose : deux de Patsy Duchamp du Port Léo Mariner, qui devait avoir besoin d’une déclaration pour son article ; un de sa mère, qui voulait sans doute la culpabiliser pour avoir divorcé de ce shérif adjoint qu’elle trouvait parfait. Et un autre, beaucoup plus étonnant, du révérend Jabez Jones.

Claudia décrocha son téléphone.

 

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